C5 CHOMAGE ET EMPLOI DES JEUNES

CHOMAGE ET EMPLOI DES JEUNES

Plaidoyer au nom de nos successeurs

 

Cet article d’humeur de J.MORIN- non publié- a été rédigé en juin 1997 en réaction à ce crime contre l’esprit que constitue la loi sur les « 35 heures ».

  

La confusion entretenue entre traitement social du chômage et politique de l’emploi, aggravée par la place excessive réservée aux approches “arithmétiques” de ces questions, s’explique, sans la justifier, par le caractère souvent superficiel de l’information diffusée par les médias. Mais elle devient insupportable, car véritablement affligeante, lorsqu’elle est le fait de responsables politiques qui se targuent, par ailleurs, d’être hommes et femmes de progrès; elle est surtout fort dommageable à la communauté..

 

Car, ce qui fait problème, ce n’est pas seulement la précarité que vivent trop de nos concitoyens, ni celle, passagère, des jeunes, anxieux de réussir leur entrée sur le marché du travail, c’est aussi, et plus généralement, l’avenir de nos petits-enfants. Plus que d’autres, ils auraient de bonnes raisons de descendre dans le rue pour protester contre celui que leurs anciens leur réservent. Mais, quelle attention leur serait accordée à eux qui ne disposent d’aucun des moyens de pression dont abusent certains; ils ne sont souvent pas même électeurs!

 

Le médiocre discours qui leur est délivré, à eux comme à leurs aînés, est tellement assourdissant qu’il étouffe ceux, plus mobilisateurs, tournés vers les actions entreprises pour le développement de notre tissu industriel par l’innovation, seul vecteur des emplois de demain, ou pour conduire des réformes essentielles trop longtemps repoussées.

 

Honni soit ainsi les « 35 heures » (nous sommes en 1997), cette décourageante arithmétique du partage, dont les champions laissent penser que nous vivons dans un système économique à somme nulle, dépourvus de capacités créatrices, donnant ainsi à ces jeunes générations, à leurs propres descendants, l’image d’un pays qui, tel un retraité avant l’age, comptant et recomptant ses maigres ressources se demanderait comment, en dépit des misères d’un temps dont la maîtrise, désormais, lui échapperait, il pourra conservé à peu près intact le pré carré de ses avantages acquis.

 

Quelle grande politique, peu propre à libérer les ardeurs des jeunes et leur enthousiasme créatif, celle qui semble ne leur offrir pour seule perspective que de devoir, avant qu’ils puissent, eux-mêmes, en goûter les fruits, consacrer une part importante de leur travail à l’entretien d’un nombre croissant d’ “inactifs”, au surplus selon des modalités que ces derniers auront eux-mêmes imposées à leurs successeurs!

 

Pour compenser le poids croissant d’une charge qui outrepasse la simple obligation alimentaire et devra être supportée par un nombre de moins en moins grand d’actifs, craignons que la propension de nos descendants à désirer moins d’enfants ne s’accentue, comme l’ont montré quelques démographes peu écoutés, accélérant ainsi la spirale de baisse du taux de fécondité dans laquelle nous, leurs pères, les auront entraîné.?

 

Oui, vraiment, combien est noble cette politique qui n’aurait rien d’autre à proposer à ces jeunes, dont l’age prédispose au plein engagement pour relever des défis, que limiter cet engagement à 35 heures au nom de la solidarité ; en réalité pour payer les errements passés de leurs aînés!

 

Politique d’ailleurs inconséquente qui voudrait laisser croire qu’une réduction du temps de travail fondée sur quelques astuces arithmétiques (et d’ailleurs non renouvelables), comme celles proposées par un ancien premier ministre, puissent constituer une grande conquête sociale.

 

L’histoire ne nous enseigne t-elle pas qu’une réduction durable a toujours été la récompense de l’esprit d’entreprise, de l’imagination créatrice, de l’innovation au quotidien, bref des initiatives et du travail passionné d’hommes attentifs à saisir, à quelque place qu’ils occupent, toute opportunité de progrès, d’hommes qui n’ont, eux, jamais vraiment songer à mesurer la durée de leur engagement personnel .

 

Être solidaire, ce n’est pas seulement partager, c’est aussi, et d’abord, créer, ensemble, des richesses.

 

Certes, faute d’avoir, en temps voulu, pris les mesures nécessaires pour accompagner la diminution des besoins en travail peu qualifié par une éducation et une formation véritablement adaptées aux exigences du progrès scientifique et technique, des “solutions comptables” s’imposent. Mais à ne parler que d’elles, on finirait par penser qu’elles sont les seuls fondements possibles d’une politique de l’emploi, dans l’attente d’une croissance, qui, tel Godot, tarderait à venir, mais qui pourrait n’être jamais au rendez-vous de l’espérance si toutes les forces vives et les intelligences n‘étaient pas libérées puis mobilisées pour aller au devant d’elle .. ou lui ouvrir des voies nouvelles.

 

Car, les entrepreneurs, eux, le savent, certains politiques aussi - du moins espérons-le-, la croissance compétitive, vecteur de la prospérité, doit plus que jamais se mériter. Elle aussi ne peut être qu’une récompense, celle des efforts accomplis pour conquérir des places sur les immenses marchés en plein développement d’Asie du sud-est, de Chine , bientôt d’Amérique Latine, puis des pays de l’Est Européen, ou pour créer, avant d’autres, par l’innovation, les marchés de demain.

 

“Entreprendre”,“Créer”,“Conquérir”, oui mais, par décret, quatre jours sur sept !! du Lundi au Jeudi !! Absurdités ! Comment, d’ailleurs, ces quelques verbes d’action, comme bien d’autres, peuvent-ils être aussi étrangement absents du vocabulaire de responsables qui se prétendent aujourd’hui hommes de progrès....!

 

Bien sûr, réduire la durée du travail peu qualifié pour le mieux partager, pourquoi pas si les heures sont substituables les unes aux autres (ce qui est de moins en moins le cas), si l’efficacité des équipes autonomes ou des groupes de projet n’en est pas affectée, si les initiatives innovatrices ne sont pas bridées. Mais alors proclamons clairement qu’il s’agit d’un pis-aller pour régler son compte au passé.

 

Car, une véritable politique de l’emploi, c’est enseigner aux jeunes entrepreneurs à prendre des risques - la précarité peut-être vertueuse quand elle oblige à relever le défi de son propre avenir - ; les y encourager et les aider, c’est inciter ceux qui le veulent à travailler plus et plus longtemps pour créer plus de richesses, c’est récompenser ceux qui gagnent de l’argent parce qu’ils créent des valeurs ajoutées et des emplois durables, c’est, par suffisamment de flexibilité, reconnaître à chacun le droit à l’erreur et la possibilité de saisir d’autres chances.

 

Mais il faut aussi qu’actifs et inactifs acceptent de remonter de quelques cliquets en arrière la roue du temps: pour donner à leurs successeurs la possibilité d’acquérir un jour les mêmes avantages, il faut qu’ils renoncent à certains des leurs pour un moment. Ainsi contribueront-ils à l’effort de formation et d’adaptation nécessaire à l’émergence d’un désir d’entreprendre plus considérable encore, et aussi, ce qui peut paraître démodé, à une politique plus hardie et plus vigoureuse d’incitation au rajeunissement de notre population, sans lesquels on ne saurait espérer aucune croissance forte et durable; grâce à quoi, d’ailleurs, ils retrouveront, sans trop tarder, les acquis auxquels ils auront momentanément renoncé au bénéfice de leurs petits-enfants. On peut rêver..... Mais politiques et syndicalistes ne sont-ils pas aussi pères de famille?

 

Ce qu’il faut enfin, sans crainte les clichés et les faux tabous, c’est répéter haut et fort, au plus jeunes notamment, les vertus de l’effort individuel et collectif, souligner notre détermination à mobiliser les imaginations et les initiatives , à libérer le travail, à soutenir créateurs et entrepreneurs dans leur aventure à risques.

 

Ceci, avec au moins autant de force qu’en mettent les apprentis sorciers, chantres des soi-disant vertus d’une politique fondée sur la seule arithmétique du partage et de la redistribution. Affirmer la valeur du travail, clé de voûte de toute politique d’emploi, est le plus sûr remède au conservatisme et à la morosité ambiantes.

 

Des évidences auxquelles beaucoup de responsables politiques et syndicalistes ont des difficultés à faire écho; mais peut-être n’ont-ils pas perçus,. pour reprendre des termes utilisés il y a bien des années par Thierry Gaudin, qu’à la “société de production” de leurs pères, héritée du XIX ème siècle, a succédé une “société de création”, celle de leurs petits-enfants, dont les matières premières sont l’information, l’intelligence, l’imagination, et non plus l’heure de travail. Défendre l’homme au travail, ce n’est plus tant protéger un salarié en position de faiblesse vis-à-vis de forces qui l’exploitent, c’est faire qu’il puisse toujours trouver à pleinement valoriser ses compétences, ses facultés créatrices, ses capacités d’initiative.

 

Un changement de comportement difficile, quand on est d’abord soucieux de préserver son électorat et que celui-ci tend à vieillir.

 

Mais un changement indispensable qui impose, peut-être, une remise en cause de notre façon de penser, encore assujettie, à notre insu, à la vision mécano-rationaliste dépassée des premiers chapitres de l’aventure industrielle. Jetons un regard nouveau sur ce système économique et social en devenir dont chacun, quelque modeste soit sa place, doit pouvoir revendiquer d’en être un acteur responsable.

 

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Les écoles qui ont pour mission de développer les intelligences et de les préparer à jouer un rôle responsable dans notre système économique et social, sont les premières concernées par cette “ardente obligation” de gestion, de valorisation, de mobilisation des compétences collectives et individuelles.

 

Peut-on leur suggérer de montrer l’exemple en engageant un effort important

 

- pour sensibiliser et former des jeunes à la logique d’un développement fondé sur la bonne gestion des compétences au moins autant que sur la bonne gestion des capitaux.

 

- en leur donner le désir, et les possibilités, de créer leur propre emploi, seuls ou en partenariat, au lieu de ne compter que sur autrui, bref de devenir sans tarder des entrepreneurs.

 

Sans tarder, c’est-à-dire avant que le “système“ ne les ait absorbés.

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Nous sommes en 2010. Ces quelques lignes ont été écrites il y a PLUS DE dix ans : quelle angoisse de constater qu’elles sont toujours, et plus que jamais d’actualité lorsqu’on voit des hommes politiques, qui, pour des raisons électorales, se feraient les mentors d’une jeunesse repliée sur elle-même, à la recherche de la sécurité, avant même d’avoir goûté les ivresses du risque et de la conquête de soi.

Mais alors, s’ils eux ne prennent pas de risques à l’orée de leur age, c’est leur condamnation à terme….