AUX SOURCES D’UN NOUVEAU MANAGEMENT

a) Un élargissement du concept de PRODUCTIVITÉ, et un nouveau défi    

Le premier impératif stratégique de bonne gestion d’un capital de ressources, disponibles et accessibles, notamment des plus “rares” d’entre elles, est de :

“chercher à en tirer le meilleur parti”Mais alors, désormais, il ne s’agit plus seulement

d’optimiser sur le court terme l’emploi des ressources matérielles quantifiables (capitaux, énergie, matières premières, temps de travail), dans un souci de bien gérer le prévisible,

    mais aussi

 —  d’optimiser sur un plus long terme l’appel aux ressources immatérielles non quantifiables (connaissances, capacités créatrices individuelles et collectives, bref les ressources technologiques) dans une volonté de mieux maîtriser l’incertain.

 “Tirer le meilleur parti”, un langage de “productiviste” qui s’applique indifféremment à toutes les ressources. Classiquement, le terme” productivité” s’applique aux ressources matérielles; nous proposons de l’appliquer aussi aux ressources immatérielles:

— la “productivité des ressources matérielles” se réfère à l’amélioration de la compétitivité par les coûts. Elle est utile à l’entreprise pour mesurer sa capacité à accroître autant que possible la valeur qu’elle produit en minimisant l’emploi de ces ressources – qui se consomment même utilisées avec parcimonie.

— la “productivité des ressources immatérielles” se réfère, quant à elle, à l’amélioration de la compétitivité par l’innovation créatrice. Elle doit inciter l’entreprise à évaluer son aptitude à pouvoir créer le plus possible de valeur – et le plus grand nombre de valeurs nouvelles – en maximisant l’appel à des ressources – qui, notons-le, ne sont pas “consommables” mais, au contraire, se capitalisent et se “régénèrent” au fur et à mesure qu’on les exploite, même de façon prodigue. Plus on utilise de l’intelligence, plus on l’enrichit, plus on en crée.

Il n’est guère aisé d’exprimer cette “productivité des ressources immatérielles” sous une forme quantifiable, faute d’indicateurs aussi aisés à manier que des ratios de grandeurs mesurables[1] .

Pour contourner cette difficulté, nous suggérons aux entreprises, – comme nous l’avions fait en son temps à propos du “bilan social” – , d’introduire, dans le processus d’évaluation de leur efficacité, un diagnostic qui permette d’apprécier dans quelle mesure elles ont réunies les conditions d’obtention d’un niveau élevé de cette “productivité” ; et, plus généralement, de s’assurer que la qualité du management de leurs ressources technologiques est à la hauteur des problèmes auxquels elle sont confrontées ou des objectifs qu’elles se sont fixés.

Si un jour des indicateurs sont trouvés, on est, dans ces conditions, en droit d’espérer qu’ils se révèlent, alors, bien orientés[2] .

On doit comprendre que ce concept de productivité des ressources immatérielles ne relève pas seulement de la seule satisfaction intellectuelle, mais qu’il a des conséquences pratiques que les dirigeants doivent tirer d’une autre lecture des réalités auxquelles ils sont, chaque jour, confrontés .

 Considérons, par exemple, une entreprise qui, grâce au progrès technologique, améliore la productivité de sa ressource “temps de travail”. Si son marché ne lui permet pas d’exploiter cet avantage en augmentant sa production à effectif constant, elle pourra, en tous cas, en maintenir le niveau en réduisant l’appel à cette ressource.

Deux façons de tirer les conséquences d’une telle situation sont alors possibles:

—i cette entreprise privilégie, de façon classique, les seuls critères de bonne gestion financière, elle est alors conduite à constater l’apparition de sur-effectifs, insupportables à court terme au regard de ces critères: des licenciements s’imposent, avec le gaspillage de ressources immatérielles qui les accompagnent;

— si cette entreprise pratique aussi le Management des Ressources Technologiques (MRT), qu’elle a, donc, le souci de maintenir la productivité de ses ressources immatérielles au niveau le plus élevé possible, de veiller, en permanence, dans une perspective de plus long terme, à en tirer le meilleur parti stratégique, cette situation s’analysera aussi, par elle, en une libération d’intelligences qu’elle s’efforcera, parce qu’elle s’y est préparée par une pratique continue du MRT, de valoriser dans de nouvelles activités.

 Une nouvel obligation, un nouveau défi,

 “Trouver le bon équilibre entre les impératifs de bonne gestion à court terme des ressources matérielles (financières en l’occurence) et de bonne gestion à plus long terme des ressources immatérielles (compétences,…)”.

b) Une nouvelle dimension du CONTRAT SOCIAL

 Une entreprise, qui a compris la nécessité stratégique de pratiquer avec détermination le Management de ses Ressources Technologiques, affirme et affiche, par là même, sa volonté de chercher à tirer le meilleur parti de son patrimoine de compétences.

 La reconnaissance, dans l’entreprise, des capacités individuelles et collectives, actuelles et potentielles que ceci implique, et, par conséquent, la perspective accrue qui s’offre alors, à chacun, d’une meilleure valorisation des siennes propres, renforce l’adhésion de tous aux objectifs communs, et favorise les initiatives créatrices.

Si on considère que l’aspiration des individus à une meilleure reconnaissance de ses capacités, à une meilleure valorisation possible de celles-ci, est au moins aussi importante que leurs revendications pour de plus justes rémunérations, on peut en conclure que le contrat social qui lie ensemble l’individu et son entreprise, prend, alors une autre dimension.

 Au contrat classique, d’inspiration Taylorienne, fondé sur l’échange salaire / temps de travail, contrat qui porte en lui des germes de conflit, comme l’a illustré un siècle et demi d’histoire des relations sociales, se substitue un contrat dans lequel cette composante, nécessairement présente, s’enrichit de cette dialectique , nouvelle , indispensable , valorisante pour chacun comme pour l’entreprise, entre intelligences individuelles et intelligence collective.

 c) Une autre regard sur la VOCATION de l’entreprise, UNE NOUVELLE ÉTHIQUE 

 Ainsi, l’entreprise n’est plus seulement le lieu de transformation en richesses économiques et sociales des ressources financières dont elle dispose (marge d’autofinancement) ou auxquelles elle peut accéder (actionnariat, emprunt).

 Elle est aussi un lieu privilégié de transformation (theilhardienne?) et valorisation permanente en richesses économiques et sociales des “intelligences” individuelles et collectives, celles dont elle disposent et qu’elle sur-régénère en les utilisant au mieux, comme celles auxquelles elle peut, grâce à elles, accéder.

 La stratégie d’entreprise ne peut être qu’une stratégie globale de valorisation optimale de toutes ses ressources matérielles et immatérielles.
Dans une perspective de pérennité, elle ainsi conduite à jeter un autre regard sur elle-même, c’est-à-dire à s’identifier

 – au moins autant dans ce qui constitue durablement son ESSENCE, le patrimoine, génétiquement évolutif, des ressources immatérielles qu’elle a su accumuler,

 – que dans ce qui, présentement, détermine son EXISTENCE au quotidien, le portefeuille de ses produits et clients qu’elle a pu constituer.