UN NOUVEL ENVIRONNEMENT, DE NOUVELLES EXIGENCES

L’environnement a progressivement changé, et avec lui la nature des pressions qu’il exerce sur l’entreprise, obligeant son management à s’adapter sans renier pour autant ses acquis.

L’industrie est reconstruite, les ménages solvables équipés. La croissance “éxogène”, continue et généralisée, de l’économie n’est plus là pour “tirer” les entreprises, les motivations d’achat changent, pour, désormais, être fondées moins sur la nécessité d’un confort minimal, déjà acquis, que sur des désirs de performances, de qualité, de nouveauté.

Place donc à la croissance endogène, chaque entreprise devant, désormais, trouver ses voies propres, originales, de développement par un renouvellement permanent, et innovateur, de ses avantages concurrentiels…..

…. Ceci dans un environnement scientifique et technique qui, par comparaison avec la relative quiétude technologique de l’immédiat après-guerre, connaît des turbulences considérables provoquées par la “re-naissance” de centres de recherche tournés vers des activités civiles, la multiplication de leurs interconnections, le développement généralisé des réseaux d’échanges de connaissances (surmultipliés et suractivés avec l’avènement, dans 2 décennies, d’Internet).

Les entreprises sont ainsi soumises à des menaces nouvelles, provenant parfois d’horizons fort éloignés de leurs champs habituels d’action et de réflexion. Mais, dans le même temps, jamais autant d’opportunités de renouvellement compétitif de leurs procédés et de leurs produits ne se sont présentées à leur portée.

S’adapter au premières pour survivre, se tenir prêts à exploiter les autres pour se développer durablement en répondant à ces nouvelles exigences, autant d’impératifs vitaux qui font de l’innovation un déterminant stratégique de première grandeur.

Oui, mais, attention, pas seulement, comme nous allons le voir, de l’innovation qui permet de mieux répondre, sur les marchés actuels, avant les concurrents qui y sont présents, aux impératifs mis en évidence par les “stratégies marketing”…..

II-a) La technologie est désormais une composante essentielle de la démarche stratégique; les stratégies de “RESSOURCES TECHNOLOGIQUES” deviennent des compléments indispensables aux stratégies marketing .

Les progrès scientifiques et techniques, qui permettent d’accroître les performances des procédés et des produits existants, rendent aussi possibles de nouvelles fonctionnalités (micro-ondes , …., Internet).

Certaines d’entre elles, génératrices de besoins nouveaux, sont appelées à satisfaire demain, sur des marchés encore inexistants, des exigences, encore informulables aujourd’hui par des consommateurs futurs qui s’ignorent encore , d’autant plus impuissants à les formuler qu’ils ne savent rien du progrès scientifique et technique et ne peuvent donc en imaginer les possibilités pratiques (Et s’ils savaient, le pourraient-ils? Même des experts ont essayé, en vain tant sont multiples, divers, surprenants, pour tout dire imprévisibles, les “innovateurs” potentiels, et les voies qu’ils empruntent pour créer le futur.).

De quoi seront faits les marchés de demain? Une incertitude majeure que le marketing stratégique, quelque soin qu’il apporte à l’étude des marchés existants et de l’action de la concurrence, quelque effort qu’il fasse pour anticiper leur évolution, est bien incapable de lever.

Largement impuissante à détecter les ruptures, la stratégie marketing reste, bien entendu, indispensable à la poursuite des activités de l’entreprise sur ses marchés actuels, aussi longtemps que ceux-ci sont durablement porteurs de promesses de profits. Mais si elle restait le seul fondement de la réflexion stratégique, elle risquerait de fixer l’entreprise sur un horizon trop rapproché, l’empêchant de tenter de franchir ce mur du son de l’imagination des consommateurs, et de s’investir dans des offres créatrices de nouveaux marchés.

Car, s’il y a, ô combien, incertitude, on peut avoir aussi une certitude qui invite à l’action: des germes du futur existent, aujourd’hui, dans les laboratoires ou ailleurs, en attente des entreprises avisées qui sauront les identifier comme tels et choisiront de s’en saisir pour contribuer à élaborer leur propre avenir plutôt que de courir le risque d’être, un jour, le jouet d’un destin imposé par plus déterminées qu’elles.

– Première conséquence. L’entreprise doit élargir son champ de vision, la veille stratégique s’étendre à une veille technologique capable de détecter les nouvelles menaces mais aussi, et surtout, des signes annonciateurs possibles de l’avenir; quant à la veille concurrentielle, elle doit se tourner aussi vers les concurrents éventuels, ceux qui pourraient, les premiers, maîtriser les technologies de demain.

– Deuxième conséquence. Détecter les germes du futur, une indispensable base de départ. Mais pour créer durablement de nouveaux avantages concurrentiels, l’entreprise doit être aussi capable d’évaluer, de s’approprier, puis d’exploiter les plus féconds des germes à sa portée, capable donc, à cet effet, de mobiliser, de façon innovatrice, toutes les connaissances et capacités créatrices dont elle peut disposer ou auxquelles elle peut accéder, toutes ses ressources immatérielles, internes et externes. Bref faire que le tremplin de ses connaissances soit le plus vaste et le plus dynamique possible.

En conclusion, les stratégies de valorisation des ressources technologiques dans des offres créatrices de nouveaux marchés sont devenues les compléments, essentiels, des traditionnelles “stratégies marketing”. Aux premières d’alimenter les secondes au fur et à mesure que les promesses du présent se réduisent et qu’augmentent les espoirs du futur, que portent ces nouvelles stratégies.

 

II-b) Une révolution culturelle: la primauté des critères de gestion des ressources financières n’est plus justifiée, la gestion des ressources humaines revendique désormais une place éminente dans les processus de décisions stratégiques..

 

L’Ecole des Relations Humaines nous a appris à mieux comprendre la nature complexe des relations réciproques entre individus et organisations, à tenir compte, autant que faire se peut, des impératifs qui en découle pour améliorer le fonctionnement de l’entreprise. Mais, inspirées des Sciences Humaines, elles sont restées à la marge d’un management stratégique fortement empreint de la rationalité de sciences plus “dures”.

Ce qui précède incite à penser que, désormais, un autre regard peut et doit être porté sur la place de l’individu dans l’organisation et sur ses rapports avec l’entreprise, qu’une autre approche des “relations humaines” dans le système économique et social peut et doit être faite, mieux en harmonie avec la rationalité du management stratégique.

Car, puisque l’innovation est aujourd’hui un vecteur stratégique décisif, alors, pour cette raison, l’homme, qui détient les connaissances, savoir-faire, facultés d’apprentissage, et capacités créatrices, bref “l’intelligence” indispensable, est devenu une ressource stratégique, plus même, la “ressource rare” de l’entreprise, ainsi que l’a qualifiée Michel Crozier[1] .

Essentielle à l’innovation créatrice, cette “ressource”, pour peu qu’elle soit organisée en une “intelligence” collective, est, à l’évidence, au moins aussi stratégique que la ressource financière nécessaire aux investissements, techniques et commerciaux,du développement ultérieur. Mais elle est, à coup sûr, plus “rare”, la seconde s’offrant en abondance à ceux qui dispose des capacités à y accéder.

Si, pour l’entreprise, viser à la meilleure rentabilité possible de son “capital” reste un but en-soi, ….. encore faut-il que, pour elle, désormais, ce terme inclut non seulement son capital financier mais aussi son capital matière grise.

C’est sous cet éclairage, “stratégique”, celui qu’apporte une bonne compréhension des conditions de fonctionnement efficace des systèmes d’intelligences, et plus seulement sous celui des “sciences humaines” et de la psychosociologie des organisations, que, dès lors, il convient d’aborder toute la complexité et la richesse des relations homme(s)/entreprise.

Une conséquence évidente: les Directions des Ressources Humaines doivent désormais étendre le champ de leurs préoccupations au fonctionnement de ces systèmes d’intelligences et être conviées à occuper sur la scène stratégique la place éminente qui, pour cette raison, leur revient .

On soulignera au passage que ces systèmes d’intelligences ne peuvent fonctionner, s’auto-enrichir, générer des initiatives créatrices que si des réseaux d’échanges informels sont entretenus et peuvent se développer au sein des organisations. Or, la qualité de ces échanges est déterminée par celle des comportements individuels et collectifs (échanges interpersonnels, partages et transmissions des informations et des connaissances, travail en équipe, créativité collective…). Il est de la responsabilité du management de favoriser ces réseaux et ces comportements.

Un motif de satisfaction. Cette nouvelle approche des relations homme(s) / entreprise est, nous l’avons vu, fondée sur des impératifs cohérents avec la rationalité de la démarche stratégique. Or on constate, non sans soulagement pour ceux qui craindrait une approche trop scientiste, trop technocratique, des problèmes humains dans l’entreprise, qu’elle n’en demeure pas moins cohérente avec les impératifs de fonctionnement des organisations que nous ont enseigné les Sciences Humaines. Ces impératifs, toujours présents, deviennent simplement plus implicites; les contraintes d’hier se transforment en vecteurs du développement.

On soulignera aussi, et par voie de conséquence, qu’au sein d’une organisation les connaissances restent stériles si elles ne sont pas associées à des comportements adéquats. Nous tendons à appeler “ compétences” , des connaissances et savoir-faire qui, pour avoir une utilité économique (et sociale), doivent être associées à de tels comportements facilitateurs d’échanges et catalyseurs d’action.

II-c) Un nouvel impératif: mettre en pratique un véritable MRT, “Management des Ressources Technologiques”. (LECTURES c)

 

Ressources technologiques”, une expression que nous avons utilisée à deux ou trois reprises. Il est temps d’en préciser le contenu, d’en justifier et d’en recommander l’usage.

Nous avons proposé[2] que les connaissances, savoir-faire, capacités d’apprentissage et facultés créatrices, organisées en intelligence collective, sans lesquelles l’innovation stratégique serait impossible, soient globalement désignés sous ce terme de Ressources Technologiques [3] ( LECTURES c)

Par ce choix sémantique, nous voulons marquer, et rappeler en permanence, une première analogie, faire un premier parallèle, avec leur équivalent stratégique que sont les “Ressources Financières”, signifier que sont concernées non seulement les “ressources” disponibles dans l’entreprise (connaissances et savoir-faire mis en oeuvre), mais aussi celles qui lui sont accessibles (techniquement, financièrement, politiquement), par voie interne (“réveil” de connaissances oubliées, formation, recherche…) ou externe (recrutement, sous-traitance, acquisition, alliance,…).

 

Il en ressort qu’une nouvelle composante du management de l’entreprise s’impose: la pratique d’une véritable management de ces autres ressources stratégiques que sont les ressources technologiques, management qui, deuxième analogie, deuxième parallèle, s’inspire d’exigences semblables à celles du management des ressources financières, à savoir, viser:

— à en tirer le meilleur parti pour le présent et pour le futur;

— à en maintenir ou en accroître la valeur relative, individuelle et collective;

— à préserver les avantages économiques qu’elles sont susceptibles de lui conférer[4] ce qui exige;

— de les identifier, aux niveaux d’agrégats appropriés;

— de les évaluer, à l’aide de critères pertinents;

— d’exercer, sur leur environnement[5],, une veille opérationnelle et stratégique. Si on y réfléchit un instant, on constate que cette démarche est à l’origine de la création de toute entreprise industrielle et commerciale;

— soit que son créateur dispose d’une “ressource technologique” particulière, si possible différenciatrice, qu’il cherche à valoriser dans une innovation stratégique: il lui faut alors trouver des “ressources financières”;

— soit que le détenteur de “ressources financières” cherche à faire fructifier son capital: il faut alors qu’il rassemble des “ressources technologiques” afin de les valoriser autour d’un projet.

Nous ne suggérons rien d’autre, en fait, qu’inciter l’entreprise à se maintenir en situation de re – création permanente, c’est-à-dire à continuer de mettre en pratique, mais de façon consciente, explicite, le management, implicite, de ses ressources technologiques grâce auquel elle fût, un jour, fécondée et pût prendre son premier essor.

L’ensemble de ces réflexions montre au passage les limites d’un management qui ne saurait être, au sens strict des mots, qu’un management des connaissances (knowledge management), et le danger de voir certains, peu avertis, prendre, sans esprit critique ni précaution, ce qui se cache derrière cette terminologie, un peu ambiguë, revêtue de tous les charmes de l’outre-atlantisme, pour une réponse aux problèmes fondamentaux évoqués ici.

De quelle utilité seraient les neurones des systèmes de connaissances sans les synapses, foisonnants, multipliables à l’infini, des systèmes de compétences et d’intelligences créatrices?

[1] “L’entreprise à l’écoute” (Interédition 1989). Voir aussi commentaires dans la référence C in fine

[2] -voir bibliographie, notamment “L’excellence Technologique” référencée en A.

[3]A notre sens, la “technologie” est l’art de mettre en oeuvre les techniques et règles générales auxquels fait appel l’entreprise pour réaliser la moindre de ses activités, qu’elles relèvent ou non des compétences des ingénieurs: tous les domaines du savoir mis en oeuvre sont concernés.

[4] propriété industrielle, contrats de travail, gestion des départs,….

[5] scientifique, technique, réglementaire,…