UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE

L’histoire montre que les principes et les méthodes de management d’une époque donnée témoignent des réponses successives que l’entreprise a dû apporter aux exigences nouvelles que des changements de son environnement lui ont imposés.

La pratique actuelle (1990/95) reste, en particulier, très fortement marquée par ces quelques trois ou quatre décades de l’après-guerre au cours desquels, du moins dans les pays européens, se sont constitués les fondements du “Management des entreprises”. C’est ainsi que s’est élaboré le fond culturel qui, pour l’essentiel, inspire toujours l’enseignement des écoles de gestion et la façon de penser et d’agir des dirigeants.

Ce “corpus” de l’art du management s’est donc construit entre 1955 et 1990, période caractérisée par la croissance continue des économies d’après-guerre (reconstruction, premier équipement des ménages, … « les 30 glorieuses »).

Pour ce qui concerne notre propos, 4 caractéristiques nous paraissent essentielles:

I-a) La primauté accordée aux critères de bonne gestion financière (temps de retour du capital, rentabilité des investissements, contrôle des coûts, calcul des prix de revient, ….), primauté qu’on peut historiquement comprendre si on considère que, en 1955, le plan Marshall -qui avait autorisé certaines “approximations” de gestion- parvenait à son terme, et que les entreprises devaient faire face au coût considérable des investissements lourds indispensables à la mise en route et aux premiers développements d’une économie moderne.

Avec une intensité encore plus grande que celle à laquelle l’histoire de l’aventure industrielle occidentale nous avait habitués depuis ses origines au XIX ème siècle, s’est affirmée, ainsi, dans l’ensemble du système économique, cette prééminence -que nous connaissons bien – de la fonction “Gestion des Ressources Financières”

I-b) Un regard “stratégique” sur l’environnement trop tourné vers la demande des marchés existants, et vers l’action des concurrents présents sur les dits marchés.

Cette démarche – qui, à son apparition, a révolutionné les habitudes des managers européens -, est connue sous le nom de “stratégie marketing”, démarche indispensable car, pour rentabiliser les énormes investissements de base puis de production de masse, il fallait pouvoir conquérir des parts croissantes de marchés en plein développement.

Le dipôle “Marketing / Finances” est alors devenu l’alpha et l’oméga du Management; nul ne pouvait espérer faire carrière s’il ne s’en était pas nourri, si possible à la mamelle d’Harvard qui en était un des plus forts symboles universitaires.

En Europe, en France en tous cas, “stratégie marketing” et “stratégie financière” ont, peu à peu, constitué le noyau central de l’enseignement des “Écoles de commerce” transformées en “Écoles de management”, ou “Business Schools”.

I-c) Une gestion des hommes, une affaire de Direction Générale sans être, pour autant, intégrée à la réflexion stratégique.

Les événements dits de “Mai 68”, le développement des Sciences Humaines, la diffusion des doctrines d’inspiration psycho-sociologique, rassemblées sous des appellations telles que   “École des relations humaines” ou “Développement des Organisations” (OD), ont eu pour effet de hisser la fonction “gestion du personnel” au rang de Direction à part entière de la Direction Générale.

Un progrès considérable. Mais si, dans ces années 70-80, les dirigeants et leurs cadres se sont fortement investis dans ces Sciences “molles” pour en assimiler les nouveaux enseignements, puis en suivre le mieux possible les recommandations, il n’empêche que la Direction des Ressources Humaines n’a pas véritablement été conviée à rejoindre ses collègues du Marketing et de la Finance sur la scène, prestigieuse, de la réflexion et de l’action stratégiques.

Osons le dire, malgré les bonnes volontés, ces recommandations ont été, en fait, et, souvent, sont encore vécues comme des contraintes au regard des exigences d’une rationalité stratégique dont elles sont en général bien éloignées.

I-d) La dimension “technologie” absente des enseignements sur le Management.

 

Durant cette période de croissance continue dite des “30 glorieuses”, l’évolution scientifique et technique était encore un long fleuve tranquille, aux caprices desquels les chercheurs et les ingénieurs ont toujours montré, depuis le milieu du XIX ème siècle,   qu’ils savaient s’adapter, quand ils n’en étaient pas eux-mêmes les auteurs. Point n’était besoin, ou, en tous cas, urgent, de développer, dans ce domaine, des méthodes de management; il suffisait de continuer à leur faire confiance.

Une illustration: jusqu’au début des années 80, à la Sloan School, la “business school” du MIT (Massassuchets Institute of Technology), un des temples mondiaux majeurs de la science et de la technique, les programmes de formation de 4 à 5 mois destinés aux “seniors executives” ne portaient, pour l’essentiel, que sur la gestion financière, le marketing, le développement des organisations (O.D.)….,

Une “absence” donc, mais qu’on doit interpréter non comme une marque de désintérêt de la part des dirigeants ou des enseignants, mais plutôt comme un hommage implicite à l’égard de ceux sans lesquels il n’y aurait eu ni aventure industrielle ni progrès…